Quand un karateka passionné des formes « contact » les plus réalistes, comme le kyokushinkai, rencontre la sphère professionnelle de la pénitentiaire, cela donne un expert de la modestie et de la dimension de Serge Cal, 7e dan.
Quand un karateka passionné des formes « contact » les plus réalistes, comme le kyokushinkai, rencontre la sphère professionnelle de la pénitentiaire, cela donne un expert de la modestie et de la dimension de Serge Cal, 7e dan.
Vous êtes l’initiateur de l’école Kemposhinkai. Qu’est ce que cela veut dire ?
Le sens, c’est « La véritable École de l’Efficacité ». Il s’agissait de donner un nom au fruit de mon expérience. Je ne m’invente pas d’école légendaire, c’est ce que j’ai pu apprendre lors de mon parcours, qui commence par le karaté dans les années 1974-75, en pleine époque Bruce Lee, alors que je n’ai que treize, quatorze ans. Je suis allé vers le plein contact, par le Kyokushinkai, dans lequel je me suis vraiment épanoui. C’est ma base. Par la suite, comme j’ai aussi pas mal changé de régions par mes affectations successives – je suis un peu un autodidacte par obligation – j’ai étendu mon expérience à beaucoup d’autres écoles et d’autres styles pour notamment étoffer le travail de saisie et d’amenées au sol qu’on trouve dans le karaté. C’est ainsi que j’ai abordé le sambo, le jujitsu et finalement le jujitsu brésilien, que j’ai appris avec le maître Flavio Behring, peut-être le seul que je puisse revendiquer finalement car je suis allé le chercher. Je voulais intégrer son expérience et son patrimoine. Je me suis adapté à lui, mais on peut dire qu’il s’est aussi adapté à moi, ne fusse que pour nous faire passer le message. Désormais je propose une approche complète du champ des percussions, des saisies et projections, des contrôles et des soumissions au sol.
L’efficacité constitue le moteur de votre pratique. Quelle est votre motivation personnelle ?
Elle est très pragmatique. Au-delà de ce que j’ai toujours aimé dans la pratique, c’est-à-dire l’idée qu’on puisse se doter d’un système technique et d’une expérience du combat qui vous rende plus fort, j’ai été pendant plus de vingt ans membre de l’administration pénitentiaire, et donc directement concerné, de façon régulière, par les situations de conflits avec passage à l’acte ou non, d’autant que je suis devenu formateur des personnels. C’est là que j’ai compris que les styles ne répondent pas, le plus souvent, à l’ensemble des problèmes auxquels je pouvais être confronté et qu’une pratique visant à s’armer progressivement pour y faire face ne pouvait être qu’une sorte de puzzle. L’ensemble du dessin n’arrive qu’à la fin, quand on a mis les pièces en place.
Quelle leçon majeure avez-vous tiré de cette longue expérience ?
Qu’il n’y a pas de règle, ni de schéma fixé. Qu’il n’y a pas de méthode unique. C’est d’ailleurs la base de mon enseignement aujourd’hui : la capacité d’adaptation. C’est le projet de base, notamment avec les jeunes, les faire travailler à trouver les solutions les plus pertinentes, et aller aussi vers la maîtrise du stress dans les situations d’affrontement. Car si je dois définir l’efficacité, je dirais que c’est la lucidité par rapport à la situation qui se déroule, le contrôle mental, et un arsenal technique adaptatif et bien maîtrisé pour y faire face. En ce qui concerne les situations que j’ai rencontrées dans mon métier, j’ai pu mesurer que, finalement, chacun avait une façon différente d’aborder les choses et qu’il n’y avait pas forcément la bonne et les mauvaises. Que beaucoup de choses pouvaient se régler par la parole, mais que parfois non. Dans ce cas, bien sûr, la maîtrise des saisies et des contrôles au sol sont utiles, mais les frappes ne sont pas du tout disqualifiées parce que cela peut être vital de placer un « taquet » qui va faire redescendre la pression.
Ne croyez-vous pas à l’art de « vaincre sans combattre » ?
On va dire que je n’y crois qu’à moitié ! Bien sûr, l’essentiel, c’est l’attitude. Il faut travailler là dessus et c’est ce que je fais aussi avec les jeunes. Bien sûr, dans la vie quotidienne, et même dans les milieux de sécurité, le passage à l’acte reste un évènement tout sauf banal. En revanche, ne pas comprendre que, « à un moment », il peut y avoir bagarre, c’est s’exposer. Mon expérience m’a appris que, dans certains milieux, les gars sont en concurrence et le rapport de force est la base des relations. Certains d’entre eux ont développé des modes de fonctionnement spécifiques et cela ne les interpelle même pas de vous « traverser la tête ». Face à eux, la crédibilité, c’est de leur faire comprendre, par la confiance que vous affichez, que vous savez faire. Et cela, ce n’est pas qu’une question de maîtrise technique. J’en ai vu des collègues tétanisés, ou à l’inverse survoltés par le stress. Et parfois, je le répète, avec un certain type de gens pour qui la violence est un langage, qui n’ont rien d’autre, on n’échappe pas à la confrontation. Le milieu carcéral, c’est un univers spécial, mais peut-être révélateur d’un fond général. Même si, avec la plupart des gens, on développe un excellent relationnel.
Vous parlez d’attitude, de confiance, comment cela se travaille ?
C’est une question de consistance générale. Sur le plan technique, il faut partir de l’idée qu’on n’est pas les meilleurs, qu’on peut apprendre des autres et qu’il faut sans cesse étendre le champ de ses compétences. D’ailleurs, l’expérience m’a appris qu’un jour on peut être hyper-efficace, et que le lendemain on est nul. L’essentiel, c’est de bien se connaître, savoir ce qu’on sait faire. Sur le plan mental, il faut se mettre le plus souvent face au mur, face à la difficulté, pour évoluer. C’est pour cela qu’on aime bien les compétitions, surtout en plein contact, avec l’idée qu’une bonne façon de progresser, c’est de faire face à la peur de perdre. On va chercher des événements avec des règlements différents, qui obligent à l’adaptation, c’est le maître-mot. Nous faisons aussi des passages de grade que nous voulons proches d’une « situation réelle », en faisant en sorte, par exemple, de fatiguer au préalable le candidat pour lui faire vivre une situation de stress. C’est la répétition des situations qui permet d’acquérir une certaine habitude. Après, l’attitude, la bonne posture, ça ne se simule pas. C’est une façon de parler, de se tenir droit, d’occuper l’espace, de porter son regard, de réagir. Ça ne s’explique pas tellement. Et parfois, c’est très personnel. J’avais une élève ceinture noire, très solide, qui était harcelée au lycée par une petite plus faible qu’elle, dont elle s’était fait une image complètement imaginaire. Il a fallu la déconstruire pour qu’elle réalise qu’elle s’était fragilisée toute seule.
Avez-vous tout de même le sentiment de faire partie de la famille des arts martiaux ?
Vous savez, mon parcours, c’est mon parcours. Pour le reste je donne cours avec plaisir à Monsieur tout le monde. Les arts martiaux, c’est une pratique de toute une vie, dont la finalité est l’amélioration personnelle. Et ça, c’est ce que nous faisons. Nous travaillons sur l’efficacité, nous cherchons constamment à sortir de la zone de confort, à secouer un peu la routine, à prendre conscience du réel… mais ce qu’on obtient avec cela, n’est pas forcément lié à la self-défense telle qu’on l’a en tête. Je suis très fier par exemple qu’un de mes élèves soit parvenu à passer les tests pour entrer stagiaire pro au RC Lens en football. Je sais que sa capacité à affronter les peurs, à gérer les enjeux mentaux, sans même parler de ses qualités physiques, ont été prépondérants. Un autre était le plus jeune candidat à entrer au RAID. Les enjeux « martiaux » sont partout, et pas que dans les arts martiaux. Alors oui, bien sûr que nous sommes dans cette perspective générale. Et quant à moi, je me sens toujours membre à part entière de la famille du karaté.
Emmanuel Charlot / Sen No Sen
Photos Denis Boulanger / FFKaraté